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Par 子翔

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Pourquoi vouloir apprendre les arts martiaux ?

En principe, ce n’est pas pour pouvoir s’attaquer à quelqu’un de plus petit ou plus faible que soi. D’une part il n’y a rien de glorieux ni à pratiquer ni à enseigner cela, et d’autre part, qui a priori aurait besoin de techniques spécifiques pour cela ?

Il y aura toujours plus fort que soi

Par conséquent, la motivation doit être de pouvoir vaincre au moins aussi grand ou aussi fort que soi, ou bien plus nombreux que soi. Car on n’est pas sûr de l’emporter face à quelqu’un faisant notre poids, et à l’évidence il y aura toujours quelqu’un de plus jeune, de constitution plus grande, plus forte, plus endurante, que soi.

S’il n’y avait qu’à développer sa force ou sa vitesse pour parvenir à cet objectif, il n’y aurait aucun besoin d’inventer toutes sortes de techniques martiales sophistiquées. En même temps, un tel projet aurait-il un sens, étant donné qu’il serait irrémédiablement voué à l’échec, de part l’amenuisement progressif et inévitable de notre vigueur au fur et à mesure que l’on vieillit ?

Parce qu’il y a des choses qu’on ne sera plus capable de faire en vieillissant, y a-t-il un intérêt à s’exercer à des activités que l’on ne pourra plus pratiquer une fois âgé ? A l’évidence, les sports de combat violents rentrent dans cette catégorie. On peut s’amuser à les pratiquer jeune, mais il y arrivera malheureusement un moment où l’on ne pourra plus y mettre autant d’intensité.

Comment ne pas voir là dedans, au mieux un amusement dont certains voudront pouvoir profiter jeunes tant qu’ils le peuvent, et au pire une perte de temps ?

Mais quel sens donner alors à l’objectif d’atteindre un “haut niveau” dans ces sports, puisque ce ne peut qu’être qu’un état d’accomplissement éphémère ?

J’ai eu un professeur de Taichichuan qui nous disait : “Pratiquer le Taichi, c’est comme épargner de l’argent à la banque”, le Taichichuan étant une activité que l’on peut garder pour toute la vie.

Toujours réduire l’usage de la force

L’intérêt de s’entraîner aux arts martiaux réside donc par dans le moindre usage de la force pour parvenir à vaincre un opposant, si tant est que cela soit bien possible. Mais s’il est possible d’user de moins de force, on peut imaginer, de proche en proche, qu’un niveau de maîtrise toujours plus élevé permet d’user encore et encore moins de force, voire plus du tout. Celui qui usera de la moindre parcelle de force sera toujours désavantagé par rapport à un autre qui saura comment faire usage de moins que lui.

On voit là que la pratique des arts martiaux doit viser à réduire toujours davantage le niveau de force que l’on est tenté d’employer. Cela, de façon complètement contraire à notre impulsion immédiate face à une attaque.

Ce en quoi consiste justement l’entraînement : reconditionner ces impulsions. On ne s’entraîne pas pour quelque chose que l’on sait déjà faire (comme mettre davantage de force), on s’entraîne à quelque chose que l’on ne sait justement pas (encore bien) faire : appliquer le moins de force possible.

Existe-t-il une attaque ultime, supérieure à toutes les autres ?

Ce qui nous amène à envisager que, si le niveau de maîtrise se mesure (au moins entre autres) par un moindre usage de force, alors l’excellence dans un art martial ne repose pas sur une “technique” particulière, encore moins sur la connaissance du plus grand nombre de techniques.

En effet, s’il y avait une technique ou attaque supérieure à toutes les autres (ou une qui semblerait se profiler sur la majorité des cas), il suffirait de l’apprendre elle seule, sans perdre de temps sur les autres.

S’il n’en existe pas, c’est donc bien qu’à chaque attaque existe la possibilité d’une contre-attaque ou la possibilité de neutraliser l’attaque.

De par l’infinie variété d’attaques que l’on peut imaginer, on voit bien que ce serait une tâche interminable de recenser, catégoriser, classifier, l’ensemble des attaques et leurs contre-attaques (et sur la base de quels critères de classement ?).

Que travaille-t-on dans un exercice avec partenaire ?

La véritable compétence à acquérir consiste plutôt en une adaptabilité constante à toute attaque de sorte à pouvoir la défaire ou engager une contre-offensive. On s’y exerce notamment en travaillant avec un partenaire dans divers jeux d’attaque et de contre-attaque, dont les paramètres sont à chaque fois différents.

Dans ces exercices, il ne s’agit pas de travailler des “techniques” (bien que ce soit ce qui semble visible), mais bien à travers les techniques, de remonter aux principes, qui permettent, eux de faire face à toute situation.

Dérouler l’arbre des possibilités ?

Se sentant démuni si l’on était amené à devoir improviser, une question qui revient souvent, lorsqu’un maître fait la démonstration d’une possibilité de contre-attaque face à un type d’attaque courante (tel un coup poing frontal), prend à peu près la forme suivante : “et si l’attaquant fait ceci ou cela? ou réagit de cette façon? ou résiste avec davantage de force?” etc.

On se rend vite compte qu’il est impossible, à partir d’une situation donnée en exercice, de dérouler l’arbre de toutes les alternatives possibles, comme un algorithme, qu’il n’y aurait qu’à apprendre ensuite par coeur pour être préparé au mieux à tout ce qui pourrait survenir.

D’ailleurs la contre-attaque montrée en exemple n’était finalement pas censée devoir être LA réponse unique et efficace de tout temps en tout lieu. Bien sûr que cette contre-attaque elle-même peut être neutralisée et contre-attaquée, tout dépend ensuite des combattants en présence et de leurs niveaux respectifs.

Si l’on modifie les conditions d’une situation donnée, les réponses appropriées peuvent et doivent être modifiées, et cela peut être déroulé comme un jeu sans fin, à moins qu’un des protagonistes n’ait le niveau suffisant et soit en mesure de désamorcer l’attaque plus vite que l’autre.

Ces “et si…? et si… ?” semblent vouloir tester l’efficacité de la contre-attaque dont il est fait la démonstration. En y réfléchissant, on comprend que la démarche correspond à une sorte de tentative d’extraire la technique en question hors de son contexte, d’évaluer son efficacité “dans l’absolu”. Il semblerait que cela ne fonctionne pas ainsi.

Poussé à l’extrême, on pourrait aussi demander “et s’il y a 10 000 adversaires et non pas un seul ?” Que fait-on dans ce cas-là ?

La réponse est bien sûr la suivante : la chose à faire est d’éviter en premier lieu de se retrouver dans ce type de situation ! Plus on a un niveau élevé, plus on parvient à éviter tôt qu’une situation n’évolue à notre désavantage.

Quelles conséquences pour notre pratique ?

Prendre conscience de tout cela a des implication importantes sur notre façon de pratiquer.

Dans les exercices, il s’agit donc d’étudier ce qui se produit dans tel ou tel contexte donné, avec ou sans application de tel principe, pour pouvoir l’observer, faire l’expérience de ses effets et finalement l’apprendre.

Inversement, cela permet de comprendre quelles conditions permet à telle action d’aboutir. C’est pourquoi, dans un exercice à deux, si c’est le partenaire qui est en situation d’appliquer une technique sur nous, trouver et comprendre ce qui facilliterait et optimiserait son action est tout aussi instructif (sinon davantage) que de chercher à déjouer son attaque et l’empêcher d’aboutir. Lui-même sera aussi en capacité d’observer les cas où son action fonctionne ou non. Finalement, faire progresser son partenaire, c’est tout autant s’aider à progresser soi-même.

Un exercice consiste en réalité en une mise en situation qu’on tente d’isoler, et qu’on bénéficie des meilleures observations si l’exercice est reproductible avec des conditions les plus similaires possibles.

Dans un exercice à deux ou plusieurs, ces conditions dépendent de tous les partenaires, ce qui rend d’autant plus difficile la reproductibilité. Malgré tout, en pratiquant et répétant avec constance, on peut parvenir à la compréhension des principes fondamentaux derrière toute la variété d’expressions et de mises en situation possibles.

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